A Killer Paradox : Explication du K-drama de Netflix
song kyoung sub/netflixÀ travers ses protagonistes, la série coréenne ne se contente pas de créer des situations complexes dignes d’un thriller : le K-drama s’amuse surtout à déconstruire le mythe de la justice super-héroïque.
Netflix a frappé fort en allant voir du côté des séries coréennes ces dernières années : entre la bonne surprise de Squid Game ou le succès des adaptations de manhwas monstrueux comme Sweet Home ou Hellbound, le géant du streaming a permis à un public occidental de découvrir des créateurs talentueux. Et le nouveau K-drama A Killer Paradox a déjà tout ce qu’il faut pour rejoindre les rangs des meilleures productions visibles dans le catalogue.
La série adapte le webtoon du même titre de kkomabi, et son pitch de départ est simple : alors qu’il rentre chez lui, Lee Tang est agressé par un ivrogne et le tue en se défendant. Le lendemain, il apprend que l’homme était en fait un tueur en série. Rapidement, les incidents s’enchaînent, et l’étudiant se découvre un super-pouvoir. Non seulement sa route croise celle des pires crapules de Corée, celles qui ne se font jamais arrêter, mais en plus sa nouvelle capacité lui permet de les assassiner et de toujours s’en sortir sans que la police ne puisse prouver sa culpabilité.
A Killer Paradox jongle avec habileté entre action, drame et comédie, et profite d’un casting solide pour incarner ses personnages principaux : Choi Woo-shik (Parasite, Dernier train pour Busan) incarne Lee Tang et donne la réplique à Son Suk-ku (Sense8) dans la peau du lieutenant Jang Nan-gam. Les protagonistes évoluent dans une mise en scène soignée et un montage rythmé, rehaussé par une musique bien choisie.
Pourtant, il n’est pas uniquement question d’une rivalité entre un assassin et un flic dans A Killer Paradox. Le K-drama prend en fait une direction toute autre que le thriller d’enquête, et s’intéresse de près à un autre genre : celui des super-héros, pour mieux le déconstruire en utilisant intelligemment ses poncifs à travers quatre personnages principaux. On vous explique tout.
Attention : cet article contient des spoilers de la série !
Lee Tang est le super-héros justicier dans A Killer Paradox
Si au départ les circonstances des actes perpétrés par Lee Tang évoquent davantage la légitime défense, les choses changent rapidement, et le K-drama n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat : le héros a un super-pouvoir !
C’est dit avec humour dans le K-drama, en jouant sur certains ressorts du fantastique – est-ce vrai ou ne s’agit-il que de coïncidences ? Mais si on part du principe que ce pouvoir est réel, alors il convient de le comprendre.
Lee Tang est amené à croiser et reconnaître des criminels. Il ne s’agit que de tueurs ou violeurs qui ne sont pas inquiétés par la justice. Mais ça ne s’arrête pas là, car le jeune homme sera sans cesse amené à mettre un terme à leur vie. S’il ne le fait pas de lui-même, la situation l’y forcera : quand il rencontre le premier tueur en série, il se défend. Quand il subit du chantage de la part de la fausse non-voyante, il se débarrasse de la maîtresse chanteuse. Progressivement, il apprend à reconnaître lui-même les signes, à savoir cette chair de poule au bruit caractéristique, apparaissant presque comme une mutation de son corps grâce aux très gros plans de la caméra.
Enfin, le dernier effet du super-pouvoir, et non des moindres, réside dans l’incapacité des forces de l’ordre à mettre la main sur lui. Les preuves compromettantes sont toujours supprimées. Soit parce qu’il pleut, soit parce qu’un chien vient lécher ses empreintes… mais aussi par des biais plus complexes : quand Lee Tang oublie le marteau du premier meurtre, la non-voyante le récupère et commence un chantage qui signera son arrêt de mort. Quand le jeune homme laisse une pomme sur le lieu d’un crime avec la trace de ses dents, c’est Roh Bin qui agit, en faisant de la chirurgie dentaire pour être accusé à sa place.
Lee Tang est donc un super-héros dans A Killer Paradox. Et qui dit super-héros, dit aussi acolyte…
Roh Bin est l’acolyte de Lee Tang dans A Killer Paradox
Roh Bin est un hacker aux multiples compétences, devenant un véritable couteau suisse au service de Lee Tang. Il est passionné du genre super-héroïque et ne s’en cache pas. Probablement le seul personnage conscient de son rôle, il le joue jusqu’au bout, faisant preuve d’une loyauté et d’un dévouement dignes des meilleurs partenaires.
Ironiquement, il choisit de changer son nom pour correspondre au coéquipier de Batman, un justicier se traînant la réputation de ne jamais tuer ses cibles. Ce qui, évidemment, n’est absolument pas le cas de Lee Tang.
Roh Bin a sa propre origin-story : témoin de la mort de ses parents quand il était enfant, il en voudra toujours à la police pour ne pas avoir cherché correctement les assassins. S’il l’avait pu, le garçon aurait lui-même endossé le costume de justicier, mais sa faiblesse ne le lui a pas permis. Il a donc cherché quelqu’un qui serait digne de son expertise.
Lee Tang représente son but ultime. Et son dévouement le pousse même à demander une chirurgie dentaire pour couvrir son héros. À l’écouter alors qu’il discute dans le final avec le lieutenant Jang Nan-gam, sa route a croisé celle de Lee Tang grâce au pouvoir du protagoniste. Ce dernier est “spécial“, assure-t-il tout au long de la série.
Mais avant de trouver le héros, Roh Bin s’est fait manipuler par un tout autre personnage : le vilain.
Song Chon est le vilain dans A Killer Paradox
Song Chon a tout du vilain d’une histoire de super-héros : il est mû par un sentiment de haine et une volonté de détruire qui trouvent leurs origines dans l’histoire du méchant, autrefois victime d’injustice par des forces qui le dépassent.
Fut un temps, Song Chon était l’incarnation de l’honnêteté. Figurant parmi les recrues les plus motivées de la police, il comptait bien faire ses preuves en étant promu pour enquêter sur les criminels. Une motivation puisant sa source dans l’arrestation de ses parents eux-mêmes assassins, et desquels il voulait se distinguer. Mais Song Chon s’est heurté à la trahison et la corruption : son sauveur, le lieutenant Jang qu’il adorait – et papa de Nan-gam -, était en réalité un flic corrompu. Déçu, poussé dans ses retranchements, Song Chon a alors changé de casquette et décidé de ne plus se laisser faire et se venger.
Après avoir été contacté par Roh Bin, Song Chon a pu s’épanouir dans son nouveau rôle de justicier. Mais contrairement à Lee Tang, il n’a pas de super-pouvoir lui permettant de savoir à coup sûr qui “mérite” de mourir ou non de ses mains. Les choses ont fini par déraper, Roh Bin a coupé les ponts, et Song Chon a plongé un peu plus dans sa folie meurtrière.
Le vilain représente le miroir du héros : ses agissements sont les mêmes, tout en étant différents. Song Chon est la version la plus pervertie du justicier qu’est Lee Tang, se servant de son sens de la justice pour assouvir ses envies de meurtre. Il n’est pas qu’un assassin, il est le super-vilain, l’ennemi héréditaire du super-héros. Conscient des techniques de son adversaire, jaloux de son pouvoir lui facilitant la vie, il ne sera pas aussi facile à éliminer que les autres malfrats auxquels Lee Tang a fait face jusque-là.
Son but est de pervertir les idéaux de Lee Tang, mais aussi la droiture d’un autre personnage : l’homme de loi, en la personne du lieutenant Jang Nan-gam.
Le lieutenant de police Jang Nan-gam est l’homme de loi dans A Killer Paradox
Jang Nan-gam est l’incarnation de l’homme de loi dans le genre super-héroïque : il possède un vrai sens de la justice, une volonté de bien faire, mais est souvent freiné par la loi qu’il a juré de servir.
Jang Nan-gam doit jongler avec ses propres problèmes. Mais contrairement au vilain ou à l’acolyte, il ne cède pas à la facilité en abandonnant la voie de la légalité. Intègre, il oscille pourtant souvent sur la mince frontière entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Il est lassé par un système qui exige de lui qu’il attrape les criminels, tout en l’empêchant d’atteindre ce but avec des règles parfois tournées en dérision – on est tenté de lever les yeux au ciel avec les policiers chaque fois que le mot “mandat” est prononcé.
La loi est un handicap pour le lieutenant, dont les intuitions sont précises et la réflexion affûtée. Malheureusement, le policier se retrouve souvent démuni dans de nombreuses situations, le handicap des règles servant également à justifier les actes de Lee Tang.
A Killer Paradox : les actes de Lee Tang sont-ils excusés dans le K-drama Netflix ?
Pourtant, le lieutenant Jang Nan-gam est nécessaire au récit, pour rappeler que les trois autres personnages restent ce qu’ils sont : des meurtriers. A Killer Paradox porte son nom à la perfection. En français, on le traduit par le “paradoxe du tueur“, et il fait justement écho à un autre paradoxe, celui du justicier.
Quelle est la frontière entre assassin et justicier ? Le fait que Lee Tang ne s’en prenne qu’à des meurtriers excuse-t-il ses actes ? La série coréenne propose une réponse en demi-teinte et fataliste : au fur et à mesure qu’il use de son pouvoir, Lee Tang fait face à des cauchemars et des visions de ses proies – qui sont d’ailleurs toujours désignées comme des “victimes“.
Il prend lui-même conscience de son propre paradoxe : dans le final, il essaie de se tuer avec le pistolet du lieutenant de police, mais son pouvoir semble l’en empêcher en s’arrangeant pour que le chargeur de l’arme soit vide. Et lorsqu’il travaille dans la poissonnerie, son reflet tente carrément de l’éliminer. Après tout, il est lui-même un tueur en série qui ne respecte pas la loi et échappe à la police. Il est donc normal que son pouvoir tente de le viser lui aussi, non ?
Mais ironiquement – ou paradoxalement, vous l’avez ? -, le jeune homme s’en sort à la fin : le final de A Killer Paradox nous fait clairement comprendre que dès son retour en Corée, l’ancien étudiant a repris du service en assassinant un homme qui n’a jamais été arrêté pour une affaire d’enlèvement et de meurtre datant de trois ans.