Maboroshi : Comment comprendre la fin du film d’animation sur Netflix ?
netflixLe nouveau film d’animation du studio MAPPA est arrivé sur Netflix, et s’amuse à perdre ses spectateurs : Qui est vraiment Itsumi ? Qu’est-il arrivé à l’aciérie de Mifuse ? Que deviennent les habitants de la ville à la fin ?
L’animation japonaise a clairement tapé dans l’œil de Netflix, qui a bien compris le potentiel des œuvres venues des plus gros studios d’animes. Le géant du streaming a décidé de commencer l’année 2024 en beauté en achetant les droits internationaux d’un très joli long-métrage, Maboroshi.
Sorti tout droit des fourneaux du studio MAPPA, devenu un incontournable dans l’industrie malgré les récentes controverses sur les conditions de travail, le film a bénéficié d’un soin tout particulier. Au scénario et à la réalisation du film qui devait au départ s’intituler Alice to Therese no Maboroshi Koujou (soit “la fabrique d’illusions d’Alice et Thérèse“), on a ainsi retrouvé Mari Okada, qui avait déjà émerveillé ses spectateurs avec Maquia – When the Promised Flower Blossoms. Et les compétences en animation de MAPPA ont permis à la réalisatrice de déployer tout son savoir-faire, nous offrant des images sublimes, une bande-son exceptionnelle et très juste, pour une histoire aussi touchante qu’alambiquée.
C’est d’ailleurs là le point qui a probablement le plus perturbé son public : digne des scénarios typiques d’animes, le récit, empreint de mélancolie, de romance et de messages d’espoir, n’aura pas manqué d’en perdre plus d’un. Que s’est-il réellement passé dans la ville de Mifuse ? Qui est vraiment Itsumi et que représente son personnage ? Qu’arrive-t-il aux héros à la fin ? Si vous vous sentez perdus, pas de panique : on vous propose des pistes pour interpréter l’intrigue de Maboroshi.
Attention : Cet article spoile l’intégralité de Maboroshi !
Sommaire
- Qu’est-il arrivé à la ville de Mifuse dans Maboroshi ?
- Qui est Itsumi, et quel est son rôle dans Maboroshi ?
- Comment interpréter le monde d’illusion de Mifuse ?
- Qu’arrive-t-il aux personnages à la fin, une fois qu’Itsumi a quitté la ville de Mifuse ?
Qu’est-il arrivé à la ville de Mifuse dans Maboroshi ?
Dès le début, Maboroshi met les pieds dans le plat : tout en nous mettant dans le point de vue de Msamune, un adolescent de 14 ans, on découvre que Mifuse se retrouve enfermée dans une bulle coincée dans le temps. Un hiver permanent, des personnages qui ne changent pas, plus aucun contact avec le reste du pays.
Au milieu de cet espace figé dans le temps, chacun fait de son mieux pour “ne pas changer”, et se préparer à un éventuel retour à la normalité. Et cachée dans le cinquième haut-fourneau de l’aciérie, se trouve une adolescente sauvage, qui n’a clairement pas reçu une éducation normale et est restée cachée de tous : Masamune la renommera Itsumi. Mais que s’est-il passé à Mifuse ?
Tout a commencé avec une explosion de l’aciérie, usine servant de moteur économique pour la ville. C’est cet événement qui crée une fracture dans l’espace-temps de nos héros, les propulsant dans une illusion. Dans la dernière partie du film, on nous confirme ce qu’on avait déjà deviné, alors que Masamune et Itsumi jettent un coup d’œil à travers les fissures : la ville de Mifuse dans laquelle ils évoluent n’est plus vraiment réelle. Elle est enfermée dans un instant précis, pile avant la catastrophe. Les personnages qui s’y retrouvent coincés ne sont plus que des illusions, des copies de leur “vrai soi”, des fantômes imitant la réalité.
Chacun y va de sa petite interprétation : Mamoru Sagami se transforme en gourou et affirme que ce sont les dieux de la région qui ont fait s’abattre un châtiment divin sur les habitants de Mifuse. Pour le grand-père de Mifuse, ce serait au contraire une bénédiction : les dieux auraient retenu le moment le plus heureux avant l’explosion de l’aciérie, pour en protéger les habitants de la ville.
Au final, la réalisatrice ne donnera pas de réponse claire sur les raisons de la fracture entre la réalité et l’illusion dans laquelle sont plongés les personnages. Du moins, pas dans la diégèse : comme n’importe quel humain, les héros ne peuvent que supposer, inventer et se raccrocher à des convictions.
Pour les spectateurs, toutefois, il est possible de comprendre l’incident autrement, en y voyant plutôt une métaphore.
Qui est Itsumi, et quel est son rôle dans Maboroshi ?
Car le propos du film ne réside pas uniquement en la résolution de l’histoire d’amour de Masamune et Mutsumi : au milieu du groupe volontairement anesthésié des habitants de Mifuse, il y a Itsumi.
Cette “fille-louve”, sauvage, malpolie, sans éducation et incapable d’aligner deux mots, apparaît soudain comme un ouragan dans la vie de Masamune : d’abord une intruse bousculant le jeune homme mal à l’aise, elle ne cesse de le surprendre, de l’inquiéter ou de foncer tête baissée là où il n’ose pas bouger. Sa curiosité et son enthousiasme paraissent dissonants comparés à l’immobilité des autres personnages, toujours si calmes et statiques.
Il faut dire que les émotions trop vives provoquent de nouvelles fissures : et un cœur brisé signifie disparaître avalé par les monstres de fumée protégeant le monde et sa quiétude inerte. Étrangement, nos jeunes héros cherchent justement à ressentir quelque chose : leurs jeux sont violents, les défis dangereux, mais ils sont un moyen de tromper l’ennui et de se prouver qu’ils existent. Car même avant la révélation du monde-illusion, les collégiens ont compris que quelque chose clochait et qu’ils n’étaient pas “vrais”.
Itsumi n’est pas concernée par tout ça, car elle n’est justement pas une illusion. Alors qu’elle était toute petite, elle s’est réfugiée dans un train qui a pu passer une fissure et l’a emmenée dans le monde-fantôme.
Contrairement aux autres, le temps a un effet sur elle : là où Masamune et ses amis restent coincés à leurs quatorze ans pendent une décennie, Itsumi grandit vraiment. Et lorsqu’elle a le cœur brisé en découvrant que Masamune en aime une autre, même si les fissures apparaissent dans le ciel, son corps reste intact et elle ne disparaît pas dans les monstres de fumée. Alors, qui est vraiment Itsumi ?
La jeune fille s’appelle en réalité Kukuiri Saki. Elle est la fille que les “vrais” Masamune et Mutsumi, les originaux qui ne sont pas restés dans le monde-illusion copiant la réalité, ont eue.
À son arrivée, Mamoru Sagami décide dans sa folie religieuse qu’elle est destinée aux dieux. Il souhaite la conserver dans toute sa pureté et fait donc en sorte de limiter ses interactions avec le reste du monde. La petite n’apprend donc rien, ne voit quasiment personne, ce qui explique son retard mental lorsque Masamune la rencontre. Mais dès qu’il apprend la vérité sur Itsumi, le choix du jeune homme est fait : il fera tout pour la renvoyer auprès de ses parents.
Comment interpréter le monde d’illusion de Mifuse ?
Loin de se contenter d’offrir un contexte pour l’histoire, le monde d’illusion dans lequel les personnages évoluent peut être interprété comme une métaphore.
On le comprend à la fin du film, alors que Saki se rend dans les ruines de l’aciérie dans le monde réel : l’explosion a été terrible. En plus de ruiner l’économie de la ville, elle a aussi causé la mort de nombreux employés qui se trouvaient sur place – y compris le père de Masamune.
Il est possible que le monde d’illusion de Mifuse soit en réalité une métaphore du refus de faire le deuil d’une époque plus paisible, où tout allait bien. Refusant d’affronter la réalité de l’aciérie, les personnages se retrouvent piégés dans leur souvenir du moment précédant le drame. On y voit là une illustration d’un mécanisme de défense déployé par de nombreuses victimes de traumatismes : le déni.
Et tout est fait pour rester dans cet état d’apathie : les notes hebdomadaires pour s’assurer qu’aucun des habitants de Mifuse ne change, veiller à éprouver le moins d’émotions possible – exit les histoires d’amour, trop dangereuses ! Et quand une petite fille “réelle” surgit, on l’enferme et on la cache, pour tenter d’étouffer l’affaire et réfréner la curiosité de l’enfant qui ne sied pas au nouveau mode de vie.
Mais cet état ne peut durer éternellement : les émotions les plus violentes, comme un chagrin d’amour ou le désespoir, emportent les personnages atteints. Mais s’ils n’étaient pas tout simplement sauvés de cette apathie générale ? Lorsque Masamune et Mutsumi décident d’aider Itsumi à retourner dans le monde réel, on peut y voir une volonté de sauver l’avenir. Pour sortir de cet état anesthésié et éprouver à nouveau des choses, il faut avancer, découvrir, affronter l’inconnu pour grandir. Et ce, même si cela signifier parfois souffrir !
On peut aussi y voir la nécessité d’affronter ses peurs lorsqu’il faut passer de l’enfance au monde “adulte”, Itsumi devant accepter de grandir et étant poussée par ses “parents” à avancer d’elle-même, et seule dans son train.
Ironiquement, la scène peut même rappeler une autre séquence célèbre du cinéma d’animation japonais : celle du Voyage de Chihiro d’Hayao Miyazaki, dans laquelle l’ultime étape de l’aventure de l’héroïne, qui “grandit” enfin et devient indépendante, est montrée alors qu’elle monte à bord d’un vieux wagon aux côtés du Sans-Visage. En se retrouvant seule à bord de ce train qui la transporte entre Mifuse et la suite de sa vie, Itsumi grandit elle aussi.
Qu’arrive-t-il aux personnages à la fin, une fois qu’Itsumi a quitté la ville de Mifuse ?
Mais seule Itsumi peut retourner dans le monde réel : Masamune, Mutsumi et les autres ne sont que des illusions. C’est d’ailleurs ce que signifie le mot “maboroshi“, qui peut se traduire par “illusion“, “rêve” ou “fantôme” en japonais.
Il est tout à fait possible que les collégiens, bloqués à un instant clé de l’histoire de la ville et son aciérie, soient donc de simples souvenirs, des “fantômes” du passé de Mifuse avant l’explosion de l’aciérie. Le fait qu’ils aient eux aussi accepté leur sort et que le beau temps soit revenu signifie peut-être même qu’ils disparaîtront purement et simplement.
Si Itsumi, redevenue Saki à la fin, ne les oublie pas et retourne sur les lieux, c’est bien que les personnages ont réellement existé pour elle : ils représentent un souvenir, qu’il n’est pas nécessaire d’oublier complètement, mais qu’il faut savoir laisser à sa place pour continuer d’avancer.
De la même manière, ce sont ces souvenirs qui ont poussé la jeune fille à retourner dans la réalité : ils peuvent aussi être son moteur, pour peu qu’elle accepte de ne pas se perdre à leurs côtés. C’est ce que sous-entend la voix off de Masamune alors que le train s’éloigne en emportant l’adolescente vers la réalité : “Poursuis ta route, Itsumi. Pars découvrir ce qui est hors de notre portée. Inspire profondément, et enivre-toi de nouvelles odeurs. Quant à nous, nous ignorons combien de temps il nous reste ici.” Car dans les phases du deuil, si le déni vient généralement en premier, on trouve à la fin du cycle l’acceptation.
La fin pour nos jeunes héros pourrait donc paraître amère, mais Mari Okada vient y apporter une note d’espoir. En effet, Mutsumi annonce entendre une voix après le climax du film : “On dirait la voix… d’un nouveau-né.“ L’image fait alors une transition sur Itsumi qui hurle son chagrin en sortant du tunnel et en retournant dans la réalité.
On peut y voir comme une seconde naissance, et la représentation de la vie qui reprend son cours normal pour la jeune fille. Mais on peut aussi l’interpréter comme une illustration de la réincarnation, très répandue dans certaines religions comme le shintoïsme : nos héros ont accepté leur sort, ils sont prêts à entamer une nouvelle vie eux aussi en abandonnant leur monde figé.
Maboroshi est disponible sur Netflix depuis le 15 janvier 2024.