Severance s’inspire d’une légende urbaine aussi dérangeante que passionnante

Joanna Mutton
Mark et Helly devant un couloir sombre dans Severance

Severance ne se contente pas d’offrir une critique du monde du travail, mais s’appuie aussi sur une représentation très spéciale de ses environnements, inspirée d’une légende urbaine aujourd’hui célèbre.

Severance vient de reprendre avec la saison 2, plongeant à nouveau personnages et spectateurs dans l’enfer des bureaux, couloirs labyrinthiques et autres open-spaces. Après le cliffhanger de la saison 1, on retrouve en effet Mark dans l’iconique ascenseur servant à activer la puce de dissociation, et l’épisode 1 de la saison 2 enchaîne aussitôt sur une journée de boulot (presque) banale.

La série phare d’Apple TV+ porte un regard critique sur de nombreux aspects du monde du travail, entre l’injonction au bonheur en entreprise ou les dérives des rapports entre les différents membres au sein d’une hiérarchie très ordonnée mais trompeuse, mais il faut aussi compter sur la forme qui soutient avec brio le fond : pour créer ce dédale oppressant que les employés de Lumon doivent parcourir chaque jour, le créateur de la série Dan Erickson s’est inspiré d’une légende urbaine angoissante.

Severance joue sur l’iconologie des Backrooms

Le créateur de Severance s’est inspiré de la légende urbaine des Backrooms pour représenter les locaux de Lumon.

Helly et Mark dans les couloirs de Lumon dans la saison 2 de Severance

C’est à l’occasion d’une interview pour Inverse en 2022 que le créateur de la série, Dan Erickson, a admis s’être beaucoup servi de films comme The Truman Show et 35 heures, c’est déjà trop pour sa représentation des bureaux des dissociés, avant d’ajouter :Il y a aussi des éléments des Backrooms, une étrange légende urbaine en ligne.

Une étrange légende urbaine qui n’avait déjà rien de nouveau en 2022, et qui a en effet toujours joué sur un décalage entre des lieux familiers – des bureaux aux centres commerciaux, en passant par des immeubles d’habitation – tout en les transfigurant par de petits détails pour jouer sur une perte de repères certaine, histoire de perturber les spectateurs ou joueurs qui les découvrent.

Qu’est-ce que les Backrooms ?

Les Backrooms sont un espace extradimensionnel fictif qu’on atteint en “sortant” de notre réalité, souvent par accident. Ces lieux sont généralement décrits comme des bureaux sans fin ou des labyrinthes infinis de couloirs et de pièces vides.

Helly R se réveille dans les locaux dissociés de Lumon dans Severance

La légende urbaine est née sur 4Chan en 2019 – pour changer – alors que des internautes encourageaient les membres du forum à poster des images troublantes donnant une sensation de malaise. Le post initial comprenait justement une photo semblant représenter un espace de bureaux abandonné.

Les Backrooms ont alors été définies comme un lieu accessible en sortant de la réalité suite à un “bug”, et dans lequel les visiteurs se perdent. La légende urbaine a par la suite énormément gagné en popularité et a eu droit à ses inévitables variantes, tout en étant réutilisée dans différentes œuvres de fiction, nourrissant au passage l’esthétique de nombreux jeux vidéo.

Pourquoi les Backrooms sont aussi inquiétantes ?

Outre le fait que celui qui se retrouve dans les Backrooms y reste piégé, il y a dans l’esthétique des lieux quelque chose de bien plus perturbant, dans le décalage qu’elle propose.

La salle des sourires de Lumon dans Severance

À la fois familiers et en même temps inopérants car vides, les différentes pièces et couloirs des Backrooms représentent une sorte de vallée dérangeante qu’on aurait appliquée à un espace plutôt qu’un visage ou une entité. Pour y parvenir, il suffit généralement de dépouiller les pièces de tout mobilier, ou de les priver de leur contexte, créant un vide qui paraît aussitôt anormal pour le spectateur ou le joueur.

À la notion de vide dans l’espace vient s’ajouter celle du temps, qui semble s’être arrêté puisqu’on ne peut plus évaluer son écoulement : les environnements étant souvent clos, uniquement éclairés par des lampes.

En quoi la série Severance est liée aux Backrooms ?

Comme les Backrooms, l’architecture des bureaux de Lumon joue avec la perception du spectateur en le plongeant dans des espaces aussi familiers qu’absurdes, et très souvent dépouillés.

La maison de Kier Eagan dans les locaux de Lumon dans Severance

Mark et ses collègues parcourent des kilomètres de dédales vides et de pièces au mobilier minimaliste et dénué de sens tous les jours, et parviennent parfois à des points d’intérêt comme l’ascenseur ou des salles attribuées à d’autres services que le leur – on peut également citer la maison reconstituée de Kier Eagan, habitée uniquement par des représentations de personnes décédées. Quant au temps, il ne s’évalue qu’avec les horloges et montres autorisées à descendre dans les bureaux, seuls moyens d’annoncer le début ou la fin d’une journée. Enfin, on peut aussi penser à un détail plus mineur mais tout aussi intelligent, qu’on retrouve directement sur le matériel de Mark et son équipe : les claviers du service de Raffinement des Macrodonnées n’ont par exemple pas de touche échap ou contrôle, rappelant ainsi l’absence d’échappatoire et de maîtrise sur leur situation.

Mais ce labyrinthe ne sert pas uniquement à déranger le spectateur : il représente aussi parfaitement d’une part le manque de sens dont souffrent certaines personnes dans leur milieu professionnel, mais aussi les manières tortueuses de perdre les employés de Lumon et les noyer sous des règles aussi absurdes que nécessaires pour les empêcher de s’y retrouver dans l’organisation des locaux et se rebeller. Car faire un plan est strictement interdit, et il est fortement recommandé de ne pas rendre visite aux autres services. Après tout, la saison 1 a bien montré ce qui pouvait arriver quand des employés se permettaient de poser des questions et communiquaient entre eux au lieu de profiter du bar à œufs…

La saison 2 de Severance est loin d’être finie : pour ne rien rater de la suite, vous pouvez consulter le calendrier de sortie des épisodes.